VENREDI 30 AVRIL 1999

Georges Papandréou, ministre grec des affaires étrangères
«On peut être contre Milosevic et contre les bombes»
 
 

ATHÈNES
de notre envoyé spécial

«Combien de temps le gouver-nement grec pourra-t-il affirmer sa solidarité avec ses alliés de l'OTAN face à une opinion pu-blique qui se prononce à 97% contre les bombardements?

-Tout le monde souhaite que la guerre se termine aussi rapidement que possible. Dès l'origine, nous avons exprimé des réserves, mais nous avons accepté le consensus de l'OTAN. Nous offrons un soutien logistique pour les troupes station-nées à Skopje, sans pour autant prendre part à l'intervention armée. De plus, nous déployons des efforts dans trois domaines:

- l'aide humanitaire en Albanie, dans l'ARYM [Ex-République you-goslave de Macédoine] et dans toute la Yougoslavie, y compris le Monténégro - et nous sommes le seul paysdont les organisations non-gouvernementales soient présentes au Kosovo;

- la reconstruction pour "le jour d'après" de la Yougoslavie et de toute la région;

- un pacte de stabilité fondé sur trois piliers - la sécurité, la démo-cratie et le développement écono-mique. Nous espérons qu'il sera fortement soutenu par la commu-nauté internationale.

» Cette politique est actuellement soutenue par l'opinion grecque, mais je pense que l'opposition ira grandissant contre la poursuite des bombardements et l'envoi de troupes au sol. Il serait bon que l'Alliance atlantique comprenne que les opinions publiques de toute la région, à l'exception peut-être de l'Albanie, s'interrogent sur la straté-gie de l'OTAN. On peut être contre Milosevic et contre les bombes.

- Etes-vous cependant d'accord pour dire qu'après l'échec des négociations de Rambouillet et de Paris l'OTAN n'avait pas d'autre choix que de meure ses menaces à exécution ?

-J'ai dit moi-même au cours des réunions de l'Union européenne que des bombardements créeraient de nombreux problèmes et que nous devrions envisager toutes les solutions diplomatiques. Je n'oublie pas que Milosevic n'a pas bougé. Nous discutons maintenant d'un renforcement de l'embargo contre la Yougoslavie. Je pense que ça au-rait été une bonne idée de commencer par là. Aujourd'hui, c'est une question plus historique que pratique. Maintenant, nous de-vons chercher une solution.

- Qu'attendez-vous de la Russie après l'échec des missions Prima-kov et Tchernomyrdine?

- Le bilan n'est pas entièrement négatif. Il y a des mouvements, pe-tits, mais visibles des deux côtés. Les Serbes disent maintenant "oui" à une force de surveillance (imple-mentation force) -non armée certes-, mais les Russes pensent qu'il existe diverses possibilités. Du côté de l'OTAN, deux points sont importants: premièrement, l'invio-labilité des frontières a été réaffir-mée avec force - autrement dit, il n'y aura pas de partition du Koso-vo. Deuxièmement, après avoir par-lé d'une force "avec commande-ment OTAN", on discute maintenant d'une force dirigée par l'ONU "avec un noyau OTAN". Cette souplesse nouvelle ne veut pas dire qu'il y aura une solution demain, mais peut-être bientôt.

 

- Excluez-vous une intervention terrestre ?

- S'il y a un accord, la Grèce par-ticipera volontiers à une opération de maintien de la paix. Sans accord, la Grèce ne participera pas à une in-tervention terrestre et même la ré-prouvera. Nous ne sommes pas sûrs de l'efficacité d'une telle opéra-tion. Personne ne pense que l'OTAN ne puisse pas s'imposer, mais les conséquences seraient ter-ribles pour la coexistence des popu-lations de la région. De plus, les Balkans ont une aversion contre les interventions années car ils en ont trop connues dans le passé. Si l'on veut intégrer à long terme les Bal-kans dans la communauté  occiden-tale, on doit se demander si l'usage de la force est la meilleure façon de procéder.

- La gauche ouest-européenne parle d'un nouvel internationa-lisme des droits de l'homme. En Grèce, de telles idées semblent très lointaines...

- Deux principes sont impor-tants: la souveraineté et les droits de l'homme. Parfois ils entrent en collision. Comment les Grecs envi-sagent-ils ce dilemme? Deux ques-tions se posent: l'usage de la force militaire est-il le meilleur instru-ment pour promouvoir les droits de l'homme? Pourquoi la communau-té internationale applique-t-elle le principe "deux poids, deux me-sures"? Nous en avons fait l'expé-rience dans la région. Depuis vingt-cinq ans, le "nettoyage ethnique" a fonctionné à Chypre. Les principes ne cachent-ils pas des visées de grande puissance? Si l'on parle de reconstruction dans les Balkans, il faut manifester la volonté politique d'appliquer les principes d'une ma-nière équitable dans toute la région.

- Le plan de stabilité des Bal-kans inclut la Serbie...

- Certainement, après la fin du conflit.

- Y compris la Serbie de Milose-vic ?

- C'est une question que nous devrons nous poser après le conflit. Mais je pense qu'il ne faut pas per-sonnifier le problème ni diaboliser un seul homme. Il est trop tôt pour savoir ce que sera la Yougoslavie après le conflit.

- Le conflit au Kosovo a-t-il une influence sur vos relations avec la République de Macédoine?

-Après l'accord intérimaire de 1995, nos relations se sont dévelop-pées. La Grèce est le premier inves-tisseur à Skopje. Pendant la crise, nous avons travaillé quotidienne-ment ensemble en faveur de la sta-bilité de la région. Le nom reste un problème, mais nous espérons que le bon climat que nous avons créé, y compris dans les opinions pu-bliques, servira de catalyseur à une solution de compromis.

» Dans cette région, les questions de frontières et de minorités ont été trop longtemps confondues, aux dépens des minorités. Il faut sépa-rer les deux questions, ne pas mettre en cause les frontières - aus-si irrationnelles soient-elles -, car changer les frontières signifie vou-loir créer une "utopie", un pays ethniquement pur qui n'existe pas. Ce n'est pas le modèle que nous es-sayons de développer en Europe. Nous avons tous des minorités aux-quelles nous devons garantir les droits démocratiques de tous les ci-toyens.

- Attendez-vous une améliora-tion des relations entre la Grèce et la Turquie après les élections dans ce pays?

- La crise au Kosovo nous a ame-nés à travailler ensemble dans un cadre multilatéral. C'est peut-être plus facile que dans un cadre bilatéral, car cela permet de laisser de cô-té les problèmes conflictuels: Chypre, la mer Egée, etc. Ceux-ci n'ont pas disparu pour autant. Nous espérons que ce climat ouvri-ra une nouvelle ère de coopération et que la nouvelle majorité, quelle qu'elle soit, agira dans cet esprit. »
 

Propos recueillis par  Daniel Vernet